samedi 21 novembre 2015

Conseils vestimentaires

Dis-moi Victoire...

J'ai justement besoin de ton aide ! Et de ton bon goût légendaire !

Je suis en cabine d'essayage, là, à la recherche d'un look un peu sympa pour le réveillon de Noël avec Mamie...

Selon toi, je pars plutôt sur la version british ... :


... ou sur la version Roulure ?


Dépêche-toi de me répondre, y a une conne qui veut la cabine.

Salomé


jeudi 19 novembre 2015

A chacun(e) son combat

Chère Salomé,

je comprends ton désarroi. J'imagine que si je me retrouvais, moi aussi, propulsée dans ce genre de milieu hostile, je me recroquevillerais sur moi-même, effectuerais des balancements d'avant en arrière en récitant du Baudelaire, pour me réconforter.

Mais tu as en toi, je le sais, moi, toutes les armes pour lutter contre cette oppression de lèches-culs bouseux! 
Montre-leur donc tes cicatrices à la main qu'ont laissés tous les rapports et autres heures de colle remplis avec talent, 
montre-leur le profil, le meilleur, celui qu'on avait adopté pour passer à la chaîne local "Canal Marne" quand ils sont venus nous interviewer, 
montre-leur tes narines qui ont survécu à dix ans d'inhalation d'air amianté sans même une petite rougeur, 
montre-leur ton tatouage, celui qu'on s'était fait collectivement après la grève du 8 septembre "Ici réside un morceau de ce collège gaulois qui n'a pas flanché, une fois de plus". 

L'oppression n'est pas passée par là et n'y passera jamais! Et c'est pas ces petits emmerdeurs de tourner en rond qui vont me prouver le contraire! Alors au travail, relève-toi les manches (et la jupe) et venge-nous va nous guider ces âmes perdues sur le chemin de la contestation et de la révolte contre l'injustice et l'absurdité de la nouvelle réforme! Va, le sein au vent conquérir de nouveaux coeurs et de nouvelles voix. J'ai toute confiance en toi et le problème c'est que tu devrais y croire, toi aussi...

*

De mon côté, c'est plutôt un combat de la mode que je mène en salle des profs où ce n'est pas toujours évident (avec les nouvelles recrues notamment), d'imposer un style respectable. 
Certaine ne respecte pas la limite légale établie entre deux shampoings et arbore sans honte le cheveu gras dès le lundi matin ; 
d'autres ne lâchent toujours pas leur polaire quotidienne, si bien qu'en plus de l'aspect hideux de la chose, on ajoute l'infirmité du vêtement trop usé ; 
une nouvelle collègue a imposé avec conviction son manteau Desigual qui suscite plissement d'yeux à chaque passage, 
mais tout ça ce n'est rien à côté de la réflexion-qui-tue que je dois essuyer concernant mon look soigné qui fait forcément tache au milieu de tout ça.

Evidemment, je sais, en enfilant mes nouvelles low boots avec talon léopard que le monde de la salle des profs n'est pas forcément prêt. Il leur faut un cheminement depuis leurs Kickers. Je te laisse imaginer le temps que je prends pour traverser le tunnel recouvert de pisse d'élèves le matin pour ne pas les tacher.
Mais quand, heureuse d'arborer mon nouveau manteau oversize copié sur les soeurs Olsen, fière de l'avoir dégoté à -50% à l'heure où les soldes sont encore loin devant, le collègue d'Histoire-Géo a le toupet de me demander "si c'est bien chez Bernadette Chirac que je l'ai chiné, ce truc", je n'en puis plus! Je m'insurge! Il ne suffit pas d'enfiler un pantalon en velours pour se revendiquer de la veine d'Arlette Laguillier, qu'on se le dise. Et je n'aurai de cesse, jusqu'à ce que mon banquier me coupe les vivres (ce qui devrait arriver bientôt vu le train de vie mené rapporté au salaire du temps partiel) de lutter pour une dignité vestimentaire au sein de mon cocon professionnel.

Même si parfois je dois bien faire exception...


...on n'a pas encore réparé les petits dénivelés qui mènent jusqu'au collège...


...tu vois, tout fout le camp, le bateau prend l'eau.


Je te parle des élèves très bientôt, promis. (De ceux qui arrivent à nager en tous cas puisque les autres n'ont pas survécu).

Stylistiquement tienne,
Victoire.

mercredi 18 novembre 2015

Ma dépression professionnelle

Chère Victoire,

Ton poste de parent d'élève ? Je pense que tu peux t'asseoir dessus, mais peut-être qu'en prônant la légitime défense...?
Après, tu as toujours été complètement folle impulsive, on ne te changera pas !

Moi, mon agressivité, en ce moment, je la réserve à mes collègues... Mes tout nouveaux, tout beaux collègues, ceux qui adoooooorent travailler, qui font des heures supplémentaires gratuitement, qui font des réunions sur leur temps de déjeuner, et surtout, qui parlent dès 8h du matin de la magnifique réforme qui nous attend.
Pour toi ma petite Victoire, et pour que tu comprennes un peu mieux mes envies de meurtres et de reconversion, j'ai préparé une petite compil' de ce que j'entends chaque jour en salle des profs... 

"Ici, on fait les compétences, oui.

Non mais attends, en techno, les compétences, elles n'ont rien à voir avec le socle commun.

Moi je suis un fonctionnaire, je fonctionne, on ne peut rien me reprocher. (Juste d'être con, mais c'est une autre histoire)

Ah oui, j'ai entendu dire que dans l'Académie de Créteil, y en a qui ne le font pas, c'est dingue ! 

Non mais tu te rends compte, il me demande :"est-ce qu'il faut apprendre ce qui est écrit en bleu ?"

Je fais le rapport, t'es sûr ? Parce que ce sera le dernier pour elle, là...

Dans le nouveau brevet, il n'y a plus de contrôle continu, c'est le socle.

Pour la réforme, tous les programmes changent, par contre, on n'aura pas tous de nouveaux manuels..."


Et me voilà, moi, Salomé, au milieu de ces fous. Je ne dis rien (j'ai plus de self-control que toi), mais juste, je ne reconnais pas mon métier. Avant, je crois que je l'aimais bien. Celui-là, je le déteste.

Désespérément tienne,

Salomé




Colcanopa, Le Monde

mardi 17 novembre 2015

Le cas Kévin

Chère Salomé,

Ne t'inquiète pas, les enfants sont plus solides et résistants que ce que l'on croit. 

Depuis quelques jours, je suis d'ailleurs préoccupée par le bien-être du mien, le grand. Celui que j'ai accepté de laisser à l'école, pour son bien qu'ils ont dit. J'ai eu confiance.

Mais là, y aurait un sale con de mioche qui emmerderait mon fils dans la cour de récré de sa Maternelle.


Ce qu'il sait pas, ce connard de Kevin, c'est qu'il ne suffit pas d'arborer un prénom de merde pour se revendiquer racaille de la classe sociale la plus précaire. Je vais lui montrer, à la force de la paume, comment on réglait les conflits chez moi et s'il retouche à un cheveu de mon gosse, je lui brise les genoux. Après ça, la récré, ça sera compliqué.

Le truc, c'est que j'ai peur de perdre mon poste d'élue de parents d'élève.
Qu'en penses-tu?

Furieusement tienne,
Victoire.



lundi 16 novembre 2015

L'Espoir

Ma chère Victoire,

Bien sûr que nous retournerons au Bataclan, bien sûr que nous continuerons à nous saouler en terrasse, bien sûr que nous retournerons au Stade de France, euh non, ça, non.  Je t'accorderaisr Roland Garros à la rigueur...

Peut-être pas ce soir, peut-être pas demain, mais je le jure, je n'aurai pas peur.

Quand j'ai appris l'horreur de vendredi soir, j'ai eu le réflexe de poser ma main sur mon ventre, un peu pour protéger "la petite personne", un peu pour m'excuser. 
Ma petite personne va naître dans un monde de merde, voilà ce que j'ai pensé. Ma petite personne n'a pourtant rien demandé. 

Et puis quand même, j'ai réfléchi.

Ma petite personne va vivre dans un pays où on est libre d'aimer qui on veut, où on est libre d'avoir la religion qu'on veut, et même pas de religion du tout. 
Un pays où on est libre de boire comme un trou (j'y tiens), où on est libre de s'habiller très court (c'est joli sur certaines) où les femmes sont (ou seront très bientôt) les égales des hommes. 
Un pays où on est libre de se promener dans la rue le visage au vent, maquillé comme un camion volé. 
Un pays où on a la liberté d'aller à l'école, d'apprendre, de devenir qui on veut. 
Un pays où on est libre de dire ce qu'on pense et de se moquer des puissants à grands coups de caricatures. 

Alors je me suis dit : 
Il va en falloir des petites personnes pour défendre toutes ces libertés. 

Et l'espoir est revenu.

A toi et à tes deux petites personnes,
Sereinement tienne,
Salomé