jeudi 19 novembre 2015

A chacun(e) son combat

Chère Salomé,

je comprends ton désarroi. J'imagine que si je me retrouvais, moi aussi, propulsée dans ce genre de milieu hostile, je me recroquevillerais sur moi-même, effectuerais des balancements d'avant en arrière en récitant du Baudelaire, pour me réconforter.

Mais tu as en toi, je le sais, moi, toutes les armes pour lutter contre cette oppression de lèches-culs bouseux! 
Montre-leur donc tes cicatrices à la main qu'ont laissés tous les rapports et autres heures de colle remplis avec talent, 
montre-leur le profil, le meilleur, celui qu'on avait adopté pour passer à la chaîne local "Canal Marne" quand ils sont venus nous interviewer, 
montre-leur tes narines qui ont survécu à dix ans d'inhalation d'air amianté sans même une petite rougeur, 
montre-leur ton tatouage, celui qu'on s'était fait collectivement après la grève du 8 septembre "Ici réside un morceau de ce collège gaulois qui n'a pas flanché, une fois de plus". 

L'oppression n'est pas passée par là et n'y passera jamais! Et c'est pas ces petits emmerdeurs de tourner en rond qui vont me prouver le contraire! Alors au travail, relève-toi les manches (et la jupe) et venge-nous va nous guider ces âmes perdues sur le chemin de la contestation et de la révolte contre l'injustice et l'absurdité de la nouvelle réforme! Va, le sein au vent conquérir de nouveaux coeurs et de nouvelles voix. J'ai toute confiance en toi et le problème c'est que tu devrais y croire, toi aussi...

*

De mon côté, c'est plutôt un combat de la mode que je mène en salle des profs où ce n'est pas toujours évident (avec les nouvelles recrues notamment), d'imposer un style respectable. 
Certaine ne respecte pas la limite légale établie entre deux shampoings et arbore sans honte le cheveu gras dès le lundi matin ; 
d'autres ne lâchent toujours pas leur polaire quotidienne, si bien qu'en plus de l'aspect hideux de la chose, on ajoute l'infirmité du vêtement trop usé ; 
une nouvelle collègue a imposé avec conviction son manteau Desigual qui suscite plissement d'yeux à chaque passage, 
mais tout ça ce n'est rien à côté de la réflexion-qui-tue que je dois essuyer concernant mon look soigné qui fait forcément tache au milieu de tout ça.

Evidemment, je sais, en enfilant mes nouvelles low boots avec talon léopard que le monde de la salle des profs n'est pas forcément prêt. Il leur faut un cheminement depuis leurs Kickers. Je te laisse imaginer le temps que je prends pour traverser le tunnel recouvert de pisse d'élèves le matin pour ne pas les tacher.
Mais quand, heureuse d'arborer mon nouveau manteau oversize copié sur les soeurs Olsen, fière de l'avoir dégoté à -50% à l'heure où les soldes sont encore loin devant, le collègue d'Histoire-Géo a le toupet de me demander "si c'est bien chez Bernadette Chirac que je l'ai chiné, ce truc", je n'en puis plus! Je m'insurge! Il ne suffit pas d'enfiler un pantalon en velours pour se revendiquer de la veine d'Arlette Laguillier, qu'on se le dise. Et je n'aurai de cesse, jusqu'à ce que mon banquier me coupe les vivres (ce qui devrait arriver bientôt vu le train de vie mené rapporté au salaire du temps partiel) de lutter pour une dignité vestimentaire au sein de mon cocon professionnel.

Même si parfois je dois bien faire exception...


...on n'a pas encore réparé les petits dénivelés qui mènent jusqu'au collège...


...tu vois, tout fout le camp, le bateau prend l'eau.


Je te parle des élèves très bientôt, promis. (De ceux qui arrivent à nager en tous cas puisque les autres n'ont pas survécu).

Stylistiquement tienne,
Victoire.

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